Sur les conseils d’Evelyne et Patrick qui nous accueillent à Darbres (Ardèche) dans une chambre d’hôtes Ardelyne pour un week-end châtaignes, nous programmons la randonnée jusqu’aux balmes1 de Montbrun, hameau de Saint-Gineys en Coiron ; en 1842 elles s’appelaient encore balmes de Montbrul, sans doute à cause de l’origine volcanique et brûlante du lieu. La dénomination était plus significative qu’aujourd’hui. Parmi les deux accès conseillés (à partir de Saint-Jean le Centenier ou de Saint-Gineys), nous prenons le second, un peu plus difficile mais plus varié. Il est bien balisé dès le départ.
Un vent froid nous oblige à enfiler le coupe-vent et nous fait hésiter. Un autre marcheur renonce. Nous partons de l’église de Saint-Gineys (site Inforoutes de l’Ardèche : Saint-Gineys) dont la façade est dissymétrique. L’aviez-vous vu ?
…Elle daterait du XIIème siècle et aurait été modifiée aux XVIIIème et XIXème siècles. …l’abside semi-circulaire, beaucoup plus basse que la nef, avec sa fenêtre étroite largement ébrasée, semble bien avoir traversé les siècles sans dommage. Il en est de même de l’intérieur […]. On peut voir, à gauche de la fenêtre de l’abside, deux pierres gravées d’étoiles à six branches, qualifiées par les spécialistes de «rosaces carolingiennes». Extrait du site Patrimoine d’Ardèche
Le sentier ressemble à une calade grossière ; il longe des pâturages où paissent d’impressionnantes vaches blanches que mon compagnon de route se complait à photographier. Puis le sentier descend, descend de façon continue jusqu’à la rivière. Il est jonché de châtaignes dont certaines, grosses et régulières, seraient dignes d’être transformées en marrons glacés. Tout en bas, la passerelle au-dessus de la Claduègne n’a qu’une balustrade que je brinquebale rien qu’en y posant la main. A gauche, c’est le vide. Puis c’est la remontée, avec un pas difficile juste avant la route, des marches d’une hauteur à faire frémir un mollet sensible. Nous remontons dans les sous-bois puis le dernier kilomètre se fait tranquillement en terrain plat. La première cache Les balmes de Montbrun par geo8707, ne nous résiste pas longtemps.
L’arrivée sur le point dominant me laisse bouche bée. Formé par d’importantes accumulations de bombes et scories, le site a été en partie détruit par l’érosion. Dans le cirque à mes pied, les grottes creusées par l’homme dans les parois d’un ancien volcan, constituent un véritable village. Les marnes et les calcaires ont été rapidement érodés : il y a eu inversion de relief comme pour le volcan de Sceautres. « On dirait les casiers d’une ruche colossale » lit-on dans le Dictionnaire géographique et administratif de la France et de ses colonies, sous la direction de Paul Joanne, Hachette (Paris), 1890-1905
« C’est Faujas de Saint-Fond, ingénieur des mines et responsable de la première chaire de Géologie du Muséum de Paris qui attira le premier l’attention du monde scientifique en 1778 sur le Coiron. Il […] identifia même divers fragments de poteries antérieures au Moyen-Age. Les hommes avaient en fait profité de ce lieu retiré pour creuser des habitations dans les scories volcaniques. A noter que ce lieu fut aussi un refuge important lors des guerres de religion. » Musée fossiles, les balmes de Montbrun
Pendant que Ti’Mars… joue à chercher la earthcache Les Balmes de Montbrun, par team pompierke, je descends lentement jusqu’à la chapelle troglodyte Sainte-Catherine ; le sentier abîmé par l’eau est glissant et peu commode. Ouverte, construite dans un cône de scories, elle accueille le visiteur dans un tout petit espace ne pouvant contenir plus d’une quinzaine de personnes. Une petite fenêtre donne sur l’extérieur ; sur l’autel, entouré de fleurs de tournesol, sont négligemment posés quelques écrits philosophico-religieux qui, selon moi, ne devraient pas s’y trouver. Depuis les balmes, on pouvait la rejoindre en empruntant la brèche qui servait de fossé au château. C’est ce que fit autrefois le Dr Francus.
Dans Voyage autour de Privas / par le Dr Francus, Mazon Albin (1828-1908), Impr. de Roure (Privas), 1882, le Docteur Francus […], accompagné de son ami Barbe, raconte sa rencontre avec les derniers habitants des balmes, l’abbé Brochory qui se nourrit pour ’10 centimes de pain et une tome par jour’, et une famille pauvre très âgée qui a une fille aveugle d’une cinquantaine d’années ; c’est elle qui les conduit jusqu’à la chapelle en empruntant une brèche qui sert de fossé au château ; cette brèche est coupée au milieu par un mur de lave laissant supposer qu’elle était surmontée d’un pont-levis en bois.
Faujas de Saint-Fond qui, vers 1775, avait visité les grottes (50 à l’époque), fait une description scientifique du cratère de Montbrul (pp. 285 et suiv.) dans son livre sur Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay, Faujas de Saint-Fond Barthélémy, Grenoble / Paris, 1778. Il parle de la plus importante habitation encore entière « la Prison » : sur deux étages oblongs, elle était « jadis destinée à enfermer un assez grand nombre de prisonniers qu’on y tenait enchaînés à des anneaux dont on voit encore des vestiges ». On y montait par un escalier étroit taillé dans la lave. L’habitant des balmes qui la réutilise comme grenier à foin a arraché les lourds et énormes anneaux où étaient enchaînés les prisonniers. Je n’ai pas réussi à l’identifier malgré la description d’un livre que j’avais consulté en ligne, à l’époque, dans le service de documentation de l’université de Strasbourg.
Les sentiers qui mènent de l’une à l’autre sont parfois envahis par la végétation et difficilement praticables. Comme dans tout village, le château de Balma était construit en hauteur ; il ne reste qu’un pan de mur, la trace d’une porte et des tas de pierres au sommet. Une trentaine de grottes, dont certaines à 2 étages, ont ainsi été creusées à différents niveaux des falaises. Des traces d’aménagements de ces grottes sont encore visibles : ancrages de poutres et d’escaliers, placards niches, lucarnes, banquettes, cheminées. Il y avait donc autrefois de nombreuses structures en bois (planchers, escaliers, poutres) ; certaines balmes avaient une vocation agricole : granges, étables ou bergeries ; autour du four collectif la population se retrouvait pour discuter le temps de la cuisson. Un orifice d’aération facilitait la combustion. Le seigneur touchait une redevance sur les fournées. Impossible de se tromper d’usage dans cette grotte : elle est noire de fumée ! J’ai trouvé beaucoup d’analogie avec le site des grottes de Calès, situé dans les Bouches-du-Rhône.
Des galeries permettent de relier les différents niveaux d’une même grotte et même d’accéder à la grotte voisine. Certaines sont fermées par un amas de pierres. D’autres dites ‘à encoche’, utilisent au maximum les murs existant naturellement et sont donc plus simples. Le pied de la falaise nord était occupé par des terrasses de culture sur lesquelles subsistent encore des variétés anciennes d’arbres fruitiers : pommiers, cognassiers, poiriers.
Après le XVème ou le XVIème siècle, l’importance de l’habitat diminue, mais le site n’est réellement abandonné qu’au XVIIIème siècle, peu avant la révolution.
Nous prenons le pique-nique au soleil, à côté du point de vue aménagé. Le vent est tombé. Quand je dis ‘pique-nique’, je devrais dire ‘repas’ : Evelyne nous a préparé une salade subtilement assaisonnée, et contenant les dernières tomates du jardin, du fromage et une pomme, tout cela avec le bon goût d’autrefois. Après le café, nous prenons le chemin du retour ; nous croisons deux groupes de randonneurs accompagnés qui souffrent dans la montée ; nous les encourageons en leur parlant de ce qu’ils vont découvrir. Je n’ai pas la même vision du décor au retour : les bourrelets de la paroi rocheuse, sont plus évidents dans ce sens. Plus je me rapproche du village, plus je constate que de belles couleurs d’automne enchantent le paysage.
Si vous passez dans le Coiron, faites un détour pour cette randonnée.
Circuit 04bis, site Ardèche sud tourisme
Vacances en pays de Berg et Coiron
Et pourquoi pas une randonnée aquatique ?
Le tracé sur carte en relief
(6.555km, 3h00 dépl. avec le parcours dans le village, 243m dénivelée)
1Balme de l’ancien occitan balma = baume signifiant grotte.
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Votre blog est extraordinaire, bien référencé et décrit, beaucoup mieux que je n’aurais pu le faire, des sites ardéchois que j’ai visités, appréciés et conseillés à mes ami(e)s et toute ma famille. Merci de faire, avec talent, découvrir ce beau département qu’est l’Ardèche.
[ndlr] merci pour vos encouragements d’autant plus appréciables que je passe beaucoup de temps à faire des recherches sérieuses sur les sujets évoqués