Un tour chez les Gallo-romains au Mas des Tourelles

[image à la Une : J.-R. Ferlay, de l’association Les Amis de Jouques]

Une sortie organisée par l’association Les Amis de Jouques à Ugernum (Beaucaire) de l’autre côté du Rhône : nous ne sommes plus en Provence mais en Occitanie ; bien qu’ayant mal au genou depuis quelques jours, je ne veux pas la manquer. Majo et moi sommes arrivées les premières sur place au Mas des Tourelles1 et découvrons la boutique dont un vin romain qui nous laisse dubitatives. On ne sait pas encore qu’on aura droit de le goûter…

Le maître des lieux : Hervé Durand (°4 juillet 1944 à Alger) professeur d’oenologie en Argentine, créateur du vignoble de l’Orpailleur au Québec au début des années 1980, fait ici de l’archéologie expérimentale : produire du vin selon les recettes et techniques des Romains (revue du Vin de France). Une équipe d’archéologues fouillent le site depuis 2019. Henry Durand, son grand-père, s’est marié le 8 octobre 1903, à Yvonne de Fesquet (AD 34, 3 E 177/516 Mariages 1903 – Image 233 sur 331) d’une grande famille montpelliéraine dont la généalogie ascendante, étudiée par quelques érudits, mène par alliance à Isidore de Forton (x Zélia Durand), fils du marquis Jean-Antoine de Forton, propriétaire du Mas des Tourelles en 1818 ;

Le père du propriétaire, Elie, reprend l’exploitation des terres à Beaucaire. Hervé et ses fils continuent leur travail en y ajoutant une touche archéologique et patrimoniale pour le plus grand plaisir des curieux.

Premier tour d’horizon du site avec une guide qui connait les lieux depuis 10 ans. Dans une salle de musée, autour de nous, des dizaines d’objets trouvés lors des fouilles : des récipients de toutes tailles car un atelier de fabrication d’amphores a été trouvé, idéal pour le transport du vin ; fièrement, notre guide fait circuler une anse d’amphore gravée trouvée en 2020 portant le nom du propriétaire romain Titus Marsalis, probablement de Nîmes.


Le site produit des amphores Gauloise I (G.1) et Gauloises IV (G.4) jusqu’au IIIs. afin de diffuser régionalement le vin du Beaucairois par voie terrestre et à longue distance par voie fluvio-maritime. ASM Mas des Tourelles. Sur le col ou la panse une incription peinte à l’encre précise la nature du contenu. Ces modèles d’amphores retrouvés dans un dépotoir, ont des propriétés caractéristiques : la 1 possède une lèvre de section triangulaire ; attaches plates avec deux sillons ; la 4 a un col haut et une lèvre en bourrelet, parfois souligné par un sillon ; beaucoup ont été retrouvées à Arles lors des fouilles de l’épave Arles-Rhône 3. Etude préliminaire des amphores gauloises des fouilles de l’épave Arles-Rhône 3 (Arles, B.-du-Rh.), Fabrice Bigot, David Djaoui, Revue archéologique de la Narbonnaise, 2013, 46 [ndlr : Fabrice Bigot est le directeur de fouilles du Mas des Tourelles]

L’intérieur des amphores est imperméabilisé par un enduit de poix et fermé par un bouchon de liège. Le vin gaulois voyage jusqu’aux ports de Méditerranée et même jusqu’en Inde, par voie de mer sur de grands bâteaux comme celui trouvé à Arles (Lire Barge romaine Arles-Rhône 3) ou voie de terre, par la via Domitia reliant l’Espagne à l’Italie et passant par Beaucaire. On le sait grâce aux amphores retrouvées sur le lieu de livraison – elles n’étaient pas réutilisées – identifiées par leurs caractéristiques qui ont la même fonction que la forme des bouteilles ou les étiquettes d’aujourd’hui. Il existe un vaste réseau de distribution organisé, du négociant en vins qui se fournit chez le producteur aux petits débiteurs de boissons, comme de nos jours…

Dans la cour une vieille et imposante glycine sert de décor pour les murs de la ferme ; à droite le pigeonnier désormais relié au bâtiment d’époque par une nouvelle construction.

Nous entrons dans une salle d’exposition contenant des jeux antiques : je reconnais les osselets constitués des petits os du pied de mouton avec lesquels je jouais dans la cour de récré. Un exercice d’arithmétique affiché au mur m’a rappelé un problème souvent proposé au cours moyen ou au certificat d’études. Qui a la réponse sans faire appel à ChatGPT ou sa calculatrice ?…

Un atelier du parfumeur a été reconstitué en 2015 avec son pressoir à coins monumental. L’huile d’olive, l’une des cultures principales  des villae gallo-romaines était à la base de cette activité (film et panneaux).

Dans l’atelier de parfums est reproduit la fresque de la maison dei Vettii représentant la fabrication des parfums. Les objets du parfum à Pompéi

Mais le plus curieux c’est la construction d’un chai romain à l’aide de deux spécialistes André Tchernia et J.-P. Brun, en suivant les préconisations de Caton : levier fait d’un énorme tronc de chêne, pressoir en bois, fouloir ; les grappes ont été cueillies à la main et mises dans des corbeilles. En l’absence de descendant de cépage antique, les raisins blancs du domaine ont été utilisés. Ainsi, une fois les grappes foulées, les rafles et leurs peaux sont mises dans la cage du pressoir pour y être pressées. Les dolia fabriqués à l’ancienne et enduits de poix, sont ensuite remplis du moût récolté ; on les remplira à ras bord, de façon qu’en fermentant, le vin se purge bien (Columelle)Biographie de Columelle.

Puis nos expérimentateurs ont procédé selon les préceptes de Columelle, en ajoutant de l’eau de mer, du plâtre, et du fenugrec au pouvoir antiseptique. Les premiers essais se sont heurtés à des difficultés de conservation. Chaque année en septembre, le foulage et le pressage avec ouvriers en tenue d’époque, dont le propriétaire lui-même, attirent de nombreux visiteurs. Sur place le film d’une dizaine de minutes, vaut mieux qu’un long discours. Boire en Gaule, Fanette Laubenheimer, CNRS Editions, 2015

Le vin à la romaine, produit en Gaule, baptisé Turriculae2 est désormais commercialisé : il se rapprocherait du vin jaune du Jura avec des notes de fruits secs et noix. Nous l’avons timidement goûté ; pour l’apprécier, sans doute ne faut-il pas chercher à le comparer aux vins du XXIe siècle ! Nous avons goûté également le Mulsum et le Carenum, vin doux issu d’une recette de Rutilius Tauraus Aemilianus.

Archéologie et reconstitution, Mas des Tourelles

Nous n’avons pas eu le temps de visiter le site archéologique ; une photo de groupe de J.-R. Ferlay s’impose cependant ; en retard d’une heure, l’Epicerie à Beaucaire nous attend pour le repas ; la suite de la visite à l’abbaye Saint-Roman c’est pour l’après-midi.

1 Mas des Tourelles, son nom au fil des siécles : vers 1760 (Cassini) La Tourelle ; en 1818, le mas de Tourelle (sans s), appartient au marquis de Forton. 1870 La Tourelle. Depuis 1950 : mas des Tourelles ; l’emploi du pluriel est donc récent. Le pigeonnier sur pied figurant sur le plan du cadastre napoléonien n’ayant pas la forme d’une tourelle, je pense plutôt que Tourelle est un patronyme, peut être le propriétaire précédant De Forton.
2 Turriculae : mot latin signifiant tourelles

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